dimanche 15 mars 2009

I. [suite]


Je ne suis pas née à Ostende. Je n'y ai pas vécu d'enfance. Je suis née autrepart, là où il n'y a pas de nom ; là où je ne m'appelais pas Jusquiame.
J'ai vécu mes premières années dans des contrées lointaines où semble-t-il le ciel était si bas qu'on rien qu'en tendant la main pouvait le frôler, sauf que l'envie n'était pas : incolore et dégobillateur. Il pleuvait souvent et le paysage n'avait de cesse de se délaver, déjà huileux et dégouttant qu'il était.
Je n'ai pas de souvenir de l'avant-Ostende. Je n'ai de souvenir de l'avant-Ostende que l'instant où je contemplai un tableau de Turner, dernière époque, pour l'unique fois – mon corps et mon âme et mes yeux atomisés par une vision certes huileuse et dégouttante, elle aussi mais qui comportait une différence : une lumière telle que le ciel bas, on eût aimé s'y perdre et s'y évaporer. C'est à cet instant-là que je compris que ma vie était à Ostende et que le reste du monde était gris. En vérité le nom d'Ostende ne s'imposa que plus tard lorsque j'eus visité le monde et que je me rendis compte que tout y était gris. Je n'avais vu qu'une fois Ostende, à l'occasion d'une brève escapade ; j'y avais ouvert les yeux et mon corps et mon âme avaient suivi, sous la couche de poussière grise il suffisait de s'oublier et le vent soufflait et toute la poussière se désagrégeait et apparaissait l'essence : la véritable Ostende.
Un choc. Je fuis longtemps. Je fuis jusqu'à oublier l'essence et m'y retrouver des années après, au hasard. Et ce fut le même choc. Et je fuis à nouveau. Cycle maudit. Année après année. Jusqu'à ne plus pouvoir fuir : avoir rencontré Rose et compris que ma vie était à Ostende, que cette fuite était dûe au refus, à la peur de me confronter à moi-même – devenir par l'essence de la terre l'essence même de moi, cet être sublime qui prenait feu au contact de Rose.

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