vendredi 20 mars 2009

VII.

On l'a retrouvée évanouie sur la plage. Et depuis qu'elle s'est réveillée, elle est comme ça. Elle regarde par la fenêtre. Elle ne réagit plus. Elle n'entend plus rien.

Elle était comme morte.

Je m'étais assise près d'elle et tentais de voir ce qu'elle voyait. Ce n'était qu'un banal jardin d'hôpital avec sa pelouse, ses arbres, ses oiseaux et ses malades mentaux en extase devant les petites fleurs. En réalité elle ne regardait rien. Elle était partie. Plongée dans un univers auquel elle était seule à accéder. Je rapprochai la main devant ses yeux : elle ne cilla pas. Oui. Elle était comme morte.

Je poussai un soupir. Tout cela était de ma faute. Évidemment. Je n'aurais jamais dû partir comme ça. Ne fût-ce que laisser un mot. Une explication. Mais non. J'avais préféré fuir comme une voleuse sans laisser d'adresse. Et voilà. À présent à cause de moi, elle s'était figée et ne revivrait plus jamais. Au moins ne souffrait-elle pas : de temps à autre un léger sourire, comme à la brusque remontée d'un souvenir enfoui.

Mais ce n'était pas ma faute. Ce n'était la faute de personne. Simplement je n'en pouvais plus. Je l'avais pressenti au moment de notre rencontre mais j'avais refusé d'écouter mon instinct : elle aimait certes mais, aussi et surtout, elle possédait. L'autre devait lui appartenir tout entier. Comme une succube elle s'appropriait son âme et du jour au lendemain elle devenait lui, effaçait toute singularité en elle. Au début elle avait vingt ans, elle était fraîche et juvénile, à vous tirer les larmes des yeux : voilà pourquoi j'avais dit oui. Mais au fil des ans, cela n'avait fait qu'empirer. Je ne pouvais même pas lui en vouloir : elle ne le faisait pas exprès. Elle pensait même bien faire. Et puis je l'aimais. Malgré tout je l'aimais. Je lui aurais tout passé.

Jusqu'à cette balade hors d'Ostende. Elle était terrorisée par l'hors-Ostende, prétextait que c'était dangereux ; m'interdisait d'en sortir. Un jour elle céda – j'ignore pourquoi mais elle céda. Et quand je vis de loin ce qu'était Ostende, cette ville hideuse repliée sur elle-même, à vivre parmi ses morts, et ce qu'était le monde je compris : je ne pouvais plus y vivre. Sinon j'en mourrais. Elle ne l'aurait jamais compris. Alors un matin, pendant qu'elle dormait, je revins plus tôt que de coûtume, je pris mes affaires en silence et je partis. Je m'installai à Liège. Jusqu'à lire cette histoire dans les journaux, une jeune femme retrouvée sur la plage, sans papiers d'identité, léthargique depuis ; la photo qui l'accompagnait ne laissait aucun doute.

Voilà à quoi la possession l'avait menée. Errer dans les rues jusqu'à perdre sa conscience. Devenir une chimère. La possession l'avait menée à perdre son être, devenir quelqu'un d'autre, cette autre qu'elle ne serait jamais : moi. Et le jour où je m'enfuis, ce fut comme si son âme avait déserté son corps. Elle devint morte. À l'exception de son corps elle avait disparu. À sa place : un grand vide.

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